L’influence de la poésie chinoise
- Macro

- 17 nov.
- 3 min de lecture
Quand j’ai soudainement quitté ma Licence 2 d’arts plastiques pour passer directement en L2 de chinois, j’ai dû m’adapter très rapidement à tout un tas de nouveaux cours, notamment les cours de chinois classique. C’était un choc de découvrir une langue très différente du chinois parlé : concise, énigmatique, remplie de figures de styles et de jeux phoniques et visuels, en particulier dans la poésie.
Un ouvrage de référence qu’il fallait se procurer, c’était « L’écriture poétique chinoise, suivi d’une anthologie des poèmes des Tang » de François Cheng. Ce livre m’a beaucoup marquée et m’a fait découvrir une poésie très différente de la poésie française classique. Même si je suis loin d’en maîtriser les codes, d’en saisir la profondeur, j’ai constaté que la poésie chinoise a clairement influencé ma manière d’écrire et de penser.
Par exemple, le poème « Du haut du pavillon des Cigognes » de Wang Zhi-huan a été traduit ainsi par François Cheng :
Le soleil blanc s’efface par-delà les montagnes Le fleuve Jaune se rue vers la mer Vaste pays qu’on voudrait d’un regard embrasser : Montons encore d’un étage
Je vais en résumer rapidement son analyse, mais il y a tout un jeu de parallélisme ici : les deux premiers vers décrivent un paysage sublime, les deux derniers l’expérience du poète. Les deux premiers vers s’opposent ainsi : le soleil se couche à l’ouest, le fleuve coule vers l’est. Il y a aussi une opposition ciel/terre et feu/eau. Le 3ème vers exprime le désir du poète d’en voir plus (littéralement 1000 stades) alors au 4ème il décide de monter encore un étage du pavillon.
J’aime comment un poème si court peut être si riche. Il est très visuel et mélodieux en chinois, et on entend davantage la rime que dans la traduction française. En même temps j’aime la clarté et la simplicité de cette traduction qui, détachée de la rime, invite au mouvement : « montons encore d’un étage ».
Lors d’une balade sur les quais de Seine, j’ai composé un poème, certes beaucoup plus simpliste, mais vous le constaterez aisément, en est très inspiré :
« Premiers rayons, déjà les quais abondent
Vélos et badauds du bout du monde
Allons jusqu’au prochain pont »
Autre exemple, ce poème de Meng Hao-ran que j’aime beaucoup, « Aube printanière » qui n’a pas été traduit dans l’ouvrage, mais dont j’ai trouvé une traduction assez fidèle (ici) :
Sommeil profond du printemps, le jour s’est déjà levé. Les oiseaux chantent de tous côtés. Pendant la nuit, le bruit du vent et de la pluie n’a pas cessé. Qui sait combien de fleurs ont pu tomber ?
Le lecteur est plongé dans le demi-sommeil du poète, qui sent que le jour s’est levé mais ne s’est pas réveillé, entend le chant des oiseaux, repense à la tempête de la veille et se demande si beaucoup de fleurs sont tombées. Ce poème est plein de sensations, s’ouvre sur une question.
Difficile de ne pas voir combien j’ai été marquée par ces vers classiques quand j’écris quelque chose comme « le goût de l’été » :
« Loin de tout L’odeur des champs Le chant des criquets Etoiles par milliers Chaleur de l’été Envahissent mes sens Quel en sera le goût ? »
En lisant « Le plateau Le-you » de Li Shang-yin, mon cœur est saisi par la nostalgie de cette scène :
Vers le soir, quand vient la mélancolie En carrosse sur l’antique plateau Rayons du couchant infiniment beaux Trop brefs hélas, si proches de la nuit
Quel magnifique poème. Je le lis et je repense à tous les couchers de soleil que j’ai vus dans ma vie et qui m’ont inspiré les mêmes sentiments. Dans le même esprit, sinon la même forme, j’ai écrit « Le ciel est en feu » :
« Le ciel est en feu Les vagues déferlent au-dessus des toits Quand s’embrasent les armées des cieux Nul ne regarde en bas Le ciel est en feu Ses flammes lèchent l’horizon Ses braises crépitent sans un son Puis s’éteignent sous mes yeux »
Certes je ne peux pas limiter la poésie chinoise à quelques quatrains écrits sous l’empire Tang et parlant de la beauté de la nature, elle est bien plus vaste que cela, mais c’est ce style et ces sujets qui m’ont principalement touchée et donc influencée.
J’ai eu envie d’écrire plus court, plus imagé, réfléchir à des jeux sonores et visuels et à laisser une part d’implicite, de mystérieux. Est-ce que « nul ne regarde en bas » veut dire qu’il est impossible de ne pas admirer le ciel à ce moment-là ? Est-ce que je partage ma tristesse qu’en regardant en bas de chez moi, je ne vois au contraire personne s’arrêter pour le regarder ? Puisque la réponse n’est pas claire, elle invite à s’interroger.
Avez-vous déjà lu des poèmes chinois ?

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